Nue-propriétés et viagers : attention aux calculs !

Parution : LA REVUE BLEUE DES PROFESSIONNELS DE LA FNAIM octobre 2008

Le démembrement de propriété est de plus en plus utilisé dans le cadre d’une gestion de patrimoine dynamique. Des produits très différents sur le plan juridique et financier peuvent être utilisés : les démembrements de propriété stricto-sensu, les viagers, ou les ventes immobilières dont les modalités de paiement sont aménagées. Jusqu’à présent, le plus connu est le viager, généralement occupé. Avec l’allongement de la durée de vie, il retrouve des adeptes malgré le «syndrome Jeanne Calmant» du nom de celle qui fut longtemps la doyenne de français.

Certains hommes – ou femmes – politiques ont acheté en viager, notamment le Général de Gaulle qui a acquis ainsi sa propriété de la Boiserie et, plus récemment, la candidate à l’élection présidentielle, Ségolène Royal, pour une maison à Mougins, logée dans sa SCI «La Sapinière». L’usage de la SCI s’explique d’une part par le fait que Madame Royal et Monsieur Hollande n’était pas marié et d’autre part par une minoration de la valorisation du bien dans le cadre de l’ISF.

Dans notre code civil, le viager figure dans les articles 1964 à 1983, de même que les «jeux et paris», en raison de l’aléa inhérent à ce type d’opérations puisque la durée de vie de l’occupant (ou du crédirentier) est un élément déterminant de perte ou de gain final. Pour autant, pour éviter des soucis avec l’administration fiscale ou avec les héritiers, il est nécessaire de s’assurer de la qualité de la transaction tant sur le plan juridique que sur le plan calculatoire. Sur ce dernier aspect, la responsabilité de professionnels (notaires ou transactionaires) est de plus en plus souvent mise en cause au titre du devoir de conseil, notamment eu égard au prix de la transaction et à la valorisation de la nue-propriété et de l’usufruit.

En effet en cas de transaction en viager occupé par exemple, pour réduire le risque de problèmes futurs avec d’éventuels héritiers ou avec le fisc il est préférable d’être en mesure de démontrer que la transaction est, à l’origine, équilibrée entre le vendeur et l’acquéreur et que les chances de gains ou de pertes assumées par chaque partie sont équivalentes. Il est donc nécessaire d’être rigoureux sur la valorisation du bien apporté par le vendeur, du droit d’habitation laissé au vendeur, des fonds présents et futurs (à indexer) versés par l’investisseur. Il nous semble donc essentiel de mettre en annexe de l’acte authentique de vente les éléments de calculs financiers suivants :

1. la valeur libre (en €),
2. la valeur occupée (en € et en % de la valeur libre),
3. la valeur de l’usufruit (en € et en % de la valeur libre),
4. le montant de la rente (en €),
5. l’indice d’indexation de la rente qui a été retenu,
6. le montant éventuel du bouquet (en €),
7. l’espérance de vie statistique du ou des vendeur(s) et la table utilisée. (Si l’espérance de vie est modifiée, il faut alors indiquer le mode de calcul utilisé et les motifs),
8. la répartition des charges entre l’occupant et l’acquéreur,
9. le taux de rendement interne brut prévisionnel (= attendu) de cette opération,
10. le taux de rendement interne net prévisionnel (= attendu) de cette opération,
11. les impacts financiers en cas de décès prématuré ou de sur-longévité sur les taux de rendement interne.

Au terme de 15 ans et 1 mois les montants correspondants à ce qu’aura payé l’investisseur (2.398.498 €) et la valeur du bien vendu par le vendeur à la date de dénouement statistiquement prévisible (2.394.194 €) sont sensiblement équilibrés, pour un taux de rendement prévisionnel net (TRP Net) de 3.00 % par an. Ce tableau présente également l’avantage de montrer :
– le gain pour un investisseur en cas de «dénouement» de l’opération avant le terme statistiquement prévu de 15 ans et 1 mois ;
– la perte si le versement des rentes dure plus longtemps que prévu.

Ainsi la vente en viager occupé sera totalement transparente et ni le vendeur (surtout ses proches), ni l’investisseur, ne pourront invoquer l’absence d’éléments nécessaires et suffisants pour pouvoir contracter en toute connaissance de cause.

La fourniture de ces éléments ne doit pas être vue par les professionnels comme une contrainte mais bien au contraire comme une protection. En agissant ainsi, ils peuvent se défendre plus aisément face à des mises en cause ultérieures, malheureusement de plus en plus nombreuses, notamment en cas de décès prématuré du ou des vendeur(s).

En effet, même si le code civil stipule que le prix est librement fixé entre le vendeur et l’acheteur, la vente peut être beaucoup plus facilement cassée si les héritiers, en l’absence de données clairement chiffrées, invoquent l’abus de faiblesse par exemple. Un juge, trouvant très peu d’éléments objectifs dans l’acte authentique, aura souvent tendance, notamment dans les premières années suivant la signature de l’acte, à casser la vente.

De son côté, l’administration fiscale depuis quelques années, il faut le signaler, accepte beaucoup plus facilement des montages ou des valorisations sous réserve que le contribuable fournisse les éléments de calculs justement argumentés (produits par lui-même ou par des conseils). La réglementation fiscale stipule en matière de démembrement de propriété que, selon les situations, l’on utilise soit le barème fiscal, soit la valorisation économique. Une erreur au titre de l’ISF autorise un redressement sur 6 ans. Le risque est donc, là aussi, de taille.

Il existe des barèmes et des logiciels pour obtenir une valorisation économique d’un bien en viager occupé, mais il faut être suffisamment averti (et savoir faire les calculs complémentaires) pour les utiliser correctement.

En ce qui concerne les barèmes, il est impossible d’obtenir en lecture directe les taux de rendement prévisionnels de l’opération ou l’impact d’une revalorisation ou d’un choix d’indexation sur les valorisations données. De plus, certains barèmes n’utilisent pas les bonnes tables de mortalité. Enfin, comme la formule de calcul n’est jamais indiquée vous «devez faire confiance» les yeux fermés.

En ce qui concerne les logiciels il est souvent impossible d’entrer soi même des paramètres de calculs importants tel que le taux d’actualisation, ce qui aboutit à travailler sur des taux non régulièrement mis à jour et à obtenir généralement des montants de rentes trop élevées. D’autres font l’impasse sur l’indexation des rentes.

Enfin pour bien utiliser ces outils il faut également connaitre de nombreux points de droit. Par exemple : l’augmentation de la rente à prévoir en cas de libération du bien par l’occupant doit aboutir à un montant de rente qui ne doit pas être inférieur à la valeur locative du bien. Si par la suite la vente est cassée pour dol ou abus de faiblesse les professionnels (transactionaire, notaire) peuvent voir leur responsabilité professionnelle mise en cause.

Ce sont les actuaires qui sont le plus à même d’effectuer des calculs de ce type. Certains calculs notamment les calculs pour les viagers occupés classiques, sont également disponibles directement sur le web.

Les professionnels de la transaction immobilière peuvent donc maintenant se faire appuyer efficacement pour ce type de calculs, ce qui ne peut que renforcer l’image des opérations en viager immobilier et par conséquent de la profession elle-même.